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«Il faut valoriser l'aspect humain du travail d'infirmière»

Selon la professeure Louise O'Reilly, plusieurs infirmières décrochent de la profession parce qu'on a sacrifié l'aspect humain au cœur de leur travail

Louise O'Reilly
Louise O'Reilly

12 juin 2008

Robin Renaud

L'énorme pression sur le réseau de la santé et la pénurie d'effectifs rend le travail de l'infirmière particulièrement difficile depuis quelques années. Mais au delà de ce constat, les conditions de travail et le peu de place accordé à la relation humaine avec le patient minent le moral de plusieurs infirmières. Louise O'Reilly, professeure en sciences infirmières au Campus de Longueuil, estime qu'il est impératif d'humaniser davantage les soins. D'une part pour donner du sens au travail de ces professionnelles, et d'autre part pour augmenter l'efficacité de leurs interventions. Elle a récemment offert une présentation sur la question au congrès de l'Acfas. Le Journal UdeS a recueilli son point de vue.

Journal UdeS : D'entrée de jeu, votre constat est que plusieurs étudiantes et jeunes infirmières choisissent leur profession pour l'aspect humain et le fait d'aider les gens, mais qu'en revanche, le milieu de travail n'est pas favorable à ça?

Louise O'Reilly : Pour une infirmière, ce qui donne du sens à son travail, c'est le fait d'accompagner le patient par une relation humaine. Malheureusement, le contexte de travail dans plusieurs milieux de soins de santé demande aux infirmières de s'occuper de nombreux patients à la fois, de travailler avec une grande rapidité ou de se concentrer sur les aspects technologiques de leur travail. Ce qui laisse peu de place à l'aspect relationnel avec le patient. C'est un contexte qui décourage plusieurs infirmières et qui fait, parfois, qu'elles ne sont ni contentes ni satisfaites de ce qu'elles ont pu accomplir au quotidien.

Journal UdeS : On a parfois l'impression que le réseau de la santé est géré selon une logique comptable qui laisse peu de place à l'aspect humain des soins…

L. O'Reilly : Dans certains lieux de soins, on peut avoir l'impression qu'il n'est pas rentable de passer du temps avec les patients. Je suis convaincue qu'il faut changer de paradigme et voir les choses de la manière suivante. Si on parle davantage avec le patient, qu'on prend le temps d'établir une relation, de le questionner, de s'y intéresser et de lui demander de décrire précisément ce qu'il vit, on a plus de chance de trouver les meilleures interventions de soins à prodiguer. Avec une telle approche, on a plus de chance de répondre aux besoins de la personne et de voir cette dernière se rétablir plus rapidement. Peut-être même éviter de devoir revenir à l'hôpital.

Journal UdeS : Est-ce que ce constat est entendu et bien perçu des administrateurs du réseau de la santé?

L. O'Reilly : C'est une donnée qui n'est pas souvent prise en compte, notamment parce que c'est une préoccupation qui a été relativement peu étudiée jusqu'à maintenant. La thèse de doctorat que j'ai faite sur la question (humanisation des soins infirmiers en contexte de réadaptation) était la première du genre au Québec. Toutefois, l'idée de bonifier l'aspect humaniste fait son chemin dans certains milieux. Des établissements, comme le Centre de réadaptation de l'Estrie, ou celui de l'Institut de réadaptation de Montréal, adhèrent à des modèles de soins qui accordent davantage d'importance à l'accompagnement du patient, à la qualité de la relation humaine que l'infirmière développe avec ce dernier. Un tel contexte donne du sens au travail de l'infirmière et donne du sens, également, au patient qui s'implique davantage dans sa propre guérison.

Journal UdeS : Plusieurs infirmières décrochent de la profession ou quittent le secteur public pour le privé; faites-vous un lien avec votre constat?

L. O'Reilly : Plusieurs quittent parce qu'elles en ont assez de faire des doubles quarts de travail et de travailler dans des conditions intenables, par exemple avec un très grand nombre de patients la nuit. Le secteur privé leur offre des conditions parfois plus favorables en termes d'horaire. Le lien n'est pas nécessairement direct, mais je suis convaincue que si le secteur public mettait davantage d'accent à humaniser les soins afin que l'infirmière puisse accorder plus de temps à l'humain, plusieurs n'hésiteraient pas à demeurer dans le secteur public, parce que leur travail aurait plus de sens à leurs yeux.

Journal UdeS : Dans la formation des infirmières, y a-t-il des cours qui traitent de l'aspect relationnel et psychologique?

Louise O'Reilly : À l'UdeS, nous proposons un cheminement combinant trois années de techniques infirmières au cégep suivi de deux ans de sciences infirmières de niveau universitaire. Aux deux niveaux, il y a quelques cours qui traitent de la relation humaine, base fondamentale de tout soin infirmier. En ce qui concerne spécifiquement mes champs d'intérêt comme professeur, je souhaite mener ces notions encore plus loin, notamment en mettant éventuellement sur pied un laboratoire d'habiletés relationnelles pour enseigner, aux étudiantes infirmières et infirmières cliniciennes, comment «être avec» le patient.

Journal UdeS : En période de pénurie d'effectifs et de compressions budgétaires, comment peut-on humaniser les soins?

L. O'Reilly : Nous vivons actuellement dans un contexte périlleux qui occulte parfois des questions importantes. Par exemple, que fait-on si les infirmières perdent le sens de leur travail et décrochent de la profession? Je compte 18 années de pratique en milieu clinique et je suis convaincue qu'il est plus rentable à long terme d'établir une relation de personne à personne avec les patients et de ne pas seulement les considérer comme des objets de soins. Mais je le répète, en développant une approche plus humaniste, en plaçant le patient au centre de nos préoccupations cliniques quotidiennes, cela donne souvent des résultats thérapeutiques tangibles pour les patients qui s'engagent davantage dans leur guérison. En bout de ligne, c'est très valorisant pour l'infirmière et octroie du sens à ce qu'elle accomplit. Cela ne peut qu'encourager les infirmières à choisir la profession et à y demeurer.